Barbara Carlotti, l’acmé des songes (2024)

Critique

A la suite de ses échanges complices avec le public lors de laboratoires oniriques, la chanteuse s’est entourée de scientifiques et de musiciens pourenregistrer «Magnétique», unalbum pop hypnotique truffé derêves et d’expériences.

Comment rêver éveillé ? Paupières entrouvertes, Barbara Carlotti a aimanté musiciens et scientifiques à sa quête, espérant entraîner aussi le public dans une autre forme de pensée. Sixans après son précédent album, l'Amour, l'Argent, le Vent, elle s'agrippe à un autre insaisissable, au fil de créations musicales hypnagogiques et laboratoires publics, dans un premier temps présentés à Paris à la Maison de la poésie ou au CentQuatre. Ce travail préparatoire a fini par se figer sur l'album Magnétique, paru fin mars, et elle s'apprête à le présenter en tournée, restée fidèle à son tropisme de pop française depuis son premier album, Chansons, avec Bertrand Burgalat en2005. Ces recherches sur les rêves l'ont piquée après l'écoute de l'hypnotique The Confessions of Dr.Dream de Kevin Ayers, bassiste de SoftMachine, l'un des cerveaux poreux de l'école de Canterbury. En plus de ses nuits, dont elle exige au minimum neufheures, Barbara Carlotti s'intéresse alors à une machine psychédélique de l'artiste britannique Brion Gysin, créée au début des années60 pour triper sans substances. Sa Dream Machine n'est pas un enchevêtrement monstrueux de câbles et de capteurs, mais prend la forme d'une ampoule placée dans un cône percé de trous, lequel est posé sur une platine vinyle qui forcément donne envie à tout musicien d'être celui dont les notes provoquent les rêveries.

Errance psychique

«Dans mes laboratoires oniriques, les gens se mettaient sur scène et l'on faisait une musique hypnotique pour renforcer l'effet d'apesanteur. La lumière frappant de façon régulière sur les paupières à une certaine vitesse fait baisser les ondes électriques de ton cerveau en ondes alpha, c'est l'état dans lequel on s'endort, des gens sont plus ou moins réceptifs, les enfants peuvent même s'endormir. Puis on commence à avoir des visions, des lumières se déploient. C'est cinétique puis ça devient cosmique, ça fait remonter des images de rêves, de présences, il n'y a rien de magique ou d'ésotérique, c'est scientifique», nous assure Barbara Carlotti.

On la rencontre en terrasse sous un brutal soleil de midi qui fait rideau sur les rêves encore frais des lève-tard. «C'est comme le cut-up, il existe un système de travail, des méthodes. La science du rêve trouve ses extensions dans l'art, chez les surréalistes et leur écriture automatique, puis chez leurs héritiers, les poètes de la Beat Generation qui ont essayé d'effacer cette frontière avec l'inconscient», décrit-elle. Pour élargir son champ onirique, elle ose expérimenter l'ayahuasca, ce breuvage des chamans indiens d'Amazonie extrait de lianes déliant les sens et ouvrant les vannes des pensées. «Avec une dream machine, l'œuvre d'art se construit à l'intérieur de nous, avec des visions abstraites, cosmiques, cinétiques, qui font un lien avec ce qui est beaucoup plus grand que soi.» Un soir où elle partage ce régime à base de trips avec Charles Carmignac du groupe Moriarty, ils décident de construire une dream machine plus grande, qui puisse créer du rêve collectif. «Le rêve a un intérêt à la fois de création pure mais aussi d'élargissem*nt de la vision. Je voulais aimanter des gens à ce type de pensée particulière, à la rêverie, dans cette époque où on a très peu de temps mort.»

Magnétique se présente comme un appel au respect de ces moments d'errance psychique qui donnent des idées, dont les références incongrues se saluent d'une piste à l'autre et où le chant a la douceur et la naïveté d'un doudou doo-wop ou d'une bluette française des sixties. L'album s'ouvre sur le premier titre de ce projet, Voir les étoiles tomber, parlé-chanté d'une somnambule décrivant les contours de sa bulle prête à s'évanouir à la première secousse, en équilibre fragile avec le trio de cuivres qui habite l'album-songe sur la durée, parmi lesquels le saxophoniste Thomas dePourquery. Pour ce titre peuplé de clés intimes («Je vais me consumer d'un coup, mon cœur va lâcher»), elle s'est réveillée un matin avec «la mélodie et le texte ficelés». Elle était à l'époque enfermée (de son plein gré) pour un mois dans une maison en Bretagne alors qu'elle venait sans transition de promouvoir son précédent album puis son émission Cosmic Fantaisie sur France Inter. Alors qu'on aurait plutôt misé sur des matinées sans réveil, elle s'est programmé une alarme par heure, inspirée de l'écrivain de science-fiction A.E.vanVogt, dont le monde des rêves prenait vie sous sa plume grâce à ce stratagème pour prélever la matière de son sommeil paradoxal.

Réalités parallèles

Elle assume jusqu'au bout cette matière imposée à elle-même. Sur le titre Phénomène composite, sa voix de malice imperturbable chante : «Toutes les femmes sont hermaphrodites», fruit d'un rêve récurrent de «femmes avec des petit* pénis : Je l'analyse ainsi car je pense qu'on ne reconnaît pas le sexe des femmes pour ce qu'il est», précise-t-elle. Sur Paradise Beach, avec un débit haché qui se veut robotique, s'avançant sur un tapis de synthés, elle chante : «Dans ce délire post-traumatique je vois des sphères hypothétiques», et interroge ce qui reste de l'humain. «Qu'est-ce qui vibre dans la chair ?» lance-t-elle, dents dehors, un œil vers une de ces tasses de café qu'on fixe souvent à ce niveau de conversation mais qui n'ont toujours pas de réponse à apporter.

Claude Delpuech, de l'Inserm, avec qui elle avait fait une création radio sur les rêves, avait été mieux à même de l'éclairer : «Il me disait qu'on se baladait avec un champ magnétique autour de notre tête toute notre vie. On découvre des choses folles sur tout ce qui n'est pas visible, ce qu'on sent et qui agit sur nous mais qu'on ne peut pas réellement définir. La puissance de la pensée et du rêve, c'est ça aussi.» Le chercheur lui avait fait don de sons de cerveaux enregistrés par des scientifiques, notamment auprès d'épileptiques. Elle a ralenti l'un d'eux vingtfois sur le titre Magnétique, pour en faire un drone très cérébral et ondulant, accompagnant un texte orbitant autour de notre obsession pour la lumière des écrans. «L'espace internet est un monde parallèle, un miroir de ce qu'il est à l'intérieur de nous et c'est ce qui fait qu'on est dans une révolution folle car nous avons ce monde immatériel en nous.» En pareil terrain d'expérimentations, chaque chanson aurait pu être un chaos d'envies et d'idées, mais Barbara Carlotti a la rigueur de faire de chaque titre une chanson, où la voix et la mélodie priment. «J'ai toujours une passion pour la pop sixties, donc je reste dans un format précis. Comme je ne choisissais pas vraiment ce que j'allais faire et que ça venait soit de rêves soit d'expériences, je ne me posais pas la question des couplets refrains, ça n'avait pas d'importance», explique-t-elle. Sur Plaisir ou Agonie, elle mise sur l'ostinato, procédé musical répétitif, et sur une rythmique qu'elle a demandée à Benoît deVilleneuve, l'un des multiples intervenants de l'album. Elle chante la science et assume d'être verbeuse, tout comme les rêves ne se privent pas d'entasser les détails et de les compresser en une même vignette.

Ayant fait appel au financement participatif pendant sa quête de maison de disques qui aura duré quelque temps - avant d'être accueillie par la branche française d'Elektra -, elle a eu le temps de réécrire les maquettes, construire des ponts entre les textes et revoir sa copie avec le groupe ASDragon, dont on connaissait déjà la force pop au côté de Michel Houellebecq ou, bien entendu, de Bertrand Burgalat. Celui-ci s'invite dans le rêve par la voix sur le titre Tout ce que tu touches, duo au ton badin disséquant les réalités parallèles, qui met en relation l'état amoureux et celui du rêve comme biais de la perception.

La nuit précédente, Barbara Carlotti a rêvé d'un mini-poulpe qu'elle plongeait dans un petit verre d'eau pour le sauver. Elle a mangé sa salade de poulpes la veille à Paris mais est corse d'origine et travaille sur un court métrage inspiré de son enfance et de la tradition du mazzérisme, des chamans corses traversés durant leur sommeil par des visions et qui, en rêve, «se transforment en chiens pour chasser les morts». Elle veut croiser ce thème avec ses souvenirs d'adolescente, quand elle partait la nuit avec sa sœur et sa cousine «faire neufkilomètres à pied pour aller danser et écouter des disques de new wave dans la cabine du DJ en partant de Poggio-di-Venaco, près de Corte». Si elle en a fait son sujet, ses rêves très surveillés sont la porte pour comprendre bien des artistes. Elle aimerait cependant placarder des songes d'inconnus sur les murs de Paris. «La fantaisie du rêve permet de dédramatiser, on est hyper responsables dans cette société, on doit tout faire bien, être efficace avoir une bonne image… Aun moment, ça suffit.»

Barbara Carlotti, l’acmé  des songes (2024)

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